Entretien avec les Norrmans

29 mars 2021 à 15:34 UTC+2

L’année dernière a vraiment bouleversé le monde entier, et notamment l’industrie hôtelière. Dans cette interview, nous nous entretenons avec Anna et Lars Norrman, qui n’auraient jamais pu imaginer ce qui les attendait au début de 2020. Ils ont vendu leur maison à l’automne 2017 située aux environs de Copenhague et se sont installés à la campagne où ils ont ouvert leur Maison de chambres d’hôtes : The Norrmans.

Lorsqu’on se rend sur votre site web, on sent immédiatement à quel point vous êtes passionné par votre Maison de chambres d’hôtes. Puis-je vous demander quand et comment vous êtes entrés dans l’industrie hôtelière ?

Nous n’avions pas d’expérience directe de l’hôtellerie avant d’ouvrir notre propre Maison de chambres d’hôtes, mais comme nous avions travaillé toute notre vie tous deux dans le secteur des services, c’était une chose qui nous tenait à cœur. Mais nous ne connaissions rien aux hôtels, si ce n’est que nous avions toujours aimé voyager nous-mêmes.

J’ai cru comprendre que vous avez une superbe Maison de chambres d’hôtes à la campagne, et que vous l’avez ensuite agrandie en vous lançant dans un autre projet au bord de la mer. Comment cela s’est-il produit ? Avez-vous des conseils à donner à tous ceux qui envisagent également de développer leur entreprise ?

Oui, nous avons décidé de nous agrandir et nous voulions voir s’il était possible de gérer un endroit plus petit tout en faisant des profits. Au début, beaucoup se moquaient de nous. Ils disaient que nous allions nous tuer à la tâche et que cela ne durerait que quelques années avant que nous nous rendions compte que nous ne ferions pas de profit.

Mais après avoir fait le calcul, nous avons vu que ces sinistres prédictions n’étaient pas fondées. Il fallait simplement  être capable de facturer le bon montant et d’offrir ce que les clients veulent. Nous ajustons donc nos prix comparativement à ceux des  hôtels tout en offrant un service plus complet, mais il s’agit toujours d’un B&B. Et cela a très bien fonctionné jusqu’à présent !

Donc, juste avant l’arrivée du Covid-19, nous avons acheté une autre maison pour offrir des services différents à un autre type de clientèle. Nous l’aimons beaucoup : elle est située dans un petit village de pêcheurs près de la mer. Il s’agit d’une ancienne forge bien conservée, entourée de maisons. Nous avons donc décidé de la conserver telle quelle tout en la personnalisant.

C’est une maison qu’on peut louer à un groupe, donc le prix est le même quel que soit le nombre de personnes. C’est aussi un bon complément car nous sommes souvent complets en été, et c’est génial de pouvoir la proposer aux clients qui veulent réserver en plus grand nombre. Ils peuvent ensuite réserver une table dans le restaurant pour y manger s’ils le souhaitent. Dans l’ensemble, nous pensons que c’était une bonne décision d’avoir une petite maison que nous pouvons louer en plus de la Maison principale de chambres d’hôtes. 

Pensez de manière créative et agissez de manière créative. N’ayez pas peur de l’échec, car le seul échec est celui qui consiste à ne rien tenter !

Puis-je vous demander quels sont certains des défis auxquels vous avez été confrontés en raison de la pandémie de Covid-19 au cours de l’année écoulée ? Comment vous les avez surmontés jusqu’à présent ?

Vraiment, ça a été l’année la plus folle de ma vie ! Nous étions au Danemark mais nos réservations provenaient à 99% de la Suède. Au début, les frontières étaient encore ouvertes. Par la suite, il y a eu beaucoup d’annulations.  Nous nous sommes retrouvés avec des week-ends à moitié remplis alors que nous étions complets en temps normal. Lorsque le Covid-19 a vraiment explosé, nous étions presque complets pour tout l’été, les week-ends étaient réservés en automne et tout le printemps.

Et comme beaucoup de ces réservations étaient prépayées, nous étions confrontés à des problèmes potentiels de liquidité si nous devions les rembourser. Pour commencer, nous avons pensé que ce serait plus facile à gérer si nous ne projetions  que pour  deux semaines en l’avance. Mais soudain, la frontière a été fermée et 100% de nos réservations ont disparu du jour au lendemain ! C’était vraiment un moment difficile pour nous. Si nous n’avions pas dû rembourser autant d’argent, nous aurions pu penser que nous allions survivre. Mais tout semblait si sombre.  Comme nous avions également investi dans la construction d’une grande serre sur la ferme pour notre nouveau chef, il n’y avait donc pas d’argent de côté pour nous dépanner. Et nous avions aussi investi de l’argent en achetant cette maison juste avant que tout s’écroule.   C’était affreux. En dernier recours, nous avons contacté les clients et leur avons demandé s’ils étaient prêts à reporter leurs réservations pour nous éviter de les rembourser. Beaucoup étaient réticents à le faire parce qu’ils étaient absolument sûrs que nous ferions faillite, mais ceux qui l’ont fait nous ont vraiment aidés.

Nous avons essayé de nous réjouir de l’automne, car nous pensions à l’époque que cela ramènerait une certaine normalité dans le secteur. Mais avec tout le printemps et l’été annulés, c’était difficile. Nous avions engagé des aides à la ferme juste avant le Covid et nous pensions devoir les licencier, mais nous avons été surpris lorsqu’ils ont dit qu’ils voulaient rester. En gros, ils m’ont dit « ne vous inquiétez pas pour le salaire, nous allons trouver une solution ensemble ». C’est donc exactement ce que nous avons fait ! En un seul mois, nous avons réussi à faire passer nos clients de 100% de Suédois à 100% de Danois. Je devais aussi m’améliorer en relations publiques et je m’y suis mis. J’ai appelé des journalistes et leur ai dit « nous avons un endroit dont personne ne connaît l’existence ». Cela a suscité leur intérêt et ils en ont fait un article. C’était exactement le genre de publicité dont nous avions besoin.

Nous avons lu sur votre compte Instagram (@thenorrmans) que vous étiez prêt à faire de grands sacrifices pour sauver votre entreprise. Pensez-vous que cette pandémie vous a aidé à vous préparer au pire ?

Oui, absolument. Nous avons hypothéqué notre voiture qui était sous emprunt. Impossible de la vendre : tout le monde avait les mêmes problèmes ! Nous avons pris un arrangement avec notre banque et avons retardé le remboursement de nos prêts. C’était la seule façon pour nous de nous en sortir.

Nous avons gardé la maison parce que la banque s’est montrée compréhensive. Sinon, cela aurait été une perte pour eux aussi si nous avions dû vendre. Il n’y avait pas d’argent pour payer quoi que ce soit durant cette période, nous avons donc dû passer ces accords pour survivre.

Alors oui, notre monde a beaucoup changé. Nous aimions vraiment notre entreprise et nous aurions tout sacrifié pour la sauver. Nous avions prévu que, si nous devions en arriver aux solutions extrêmes, l’entreprise la plus récente disparaîtrait en premier ; puis notre maison, en fonction de ce qui était nécessaire pour continuer à fonctionner.

Quelles sont vos principales préoccupations pour l’avenir et comment pensez-vous que les 6 à 12 prochains mois affecteront l’industrie hôtelière et votre entreprise ?

C’est assez difficile à dire, mais comme il y a un vaccin en route, je pense que nous retournerons lentement à la normale.

Je ne crois pas que beaucoup de choses vont changer avant le printemps. Nous n’organiserons probablement pas de conférences, de mariages ou d’événements comme nous l’avons fait dans le passé. Je pense également que les entreprises situées à la campagne sont bien mieux placées que celles qui se trouvent dans les grandes villes.

Notre maison d’été est déjà entièrement réservée pour cet été, il semble donc que, malgré tout, l’envie de voyager soit toujours là… Ceux d’entre nous qui travaillent dans ce secteur ne doivent donc rien prendre pour acquis. Nous devons rester prêts à tout. Il est important que nous soyons flexibles, parés à faire des changements en cas de difficultés à venir.

De nombreux propriétaires d’hôtels s’adaptent aujourd’hui pour trouver des moyens de survivre à la crise, voire de se développer. Avez-vous trouvé des opportunités commerciales au milieu de ces difficultés ?

Oui, bien sûr! En ce moment, je suis en train de recruter une autre personne pour notre équipe qui nous aidera à gérer et à optimiser nos jours de semaine. Nous travaillons également à une nouvelle collaboration avec des établissements voisins. Ce n’est pas tout à fait réglé, mais ce sera plus approprié pour les réceptions de mariages, les conférences et autres festivités.

Ces événements sociaux finiront par revenir et je crois qu’il est important de s’y préparer. Au début, il s’agira probablement d’événements plus modestes, puis ils prendront de l’ampleur. Je ne crois pas que l’industrie reprendra dans un avenir proche, mais je pense que nous aurons toujours envie de nous rassembler de différentes manières. Nous commençons donc à réfléchir à la manière dont nous nous y prendrons pour répondre à ce besoin lorsque le pire sera passé.

Nous essayons d’obtenir du conseil municipal l’approbation et le financement de deux chambres supplémentaires, car nous voulons développer notre activité. Donc nous travaillons dur pour être créatifs avec le peu d’argent que nous avons.

Que voudriez-vous dire à tous ceux qui traversent les mêmes difficultés que vous ?

Ne voyez pas trop loin, essayez d’aborder votre entreprise avec un regard neuf pour voir comment vous pouvez vous adapter à la crise maintenant.

J’ai reçu beaucoup de conseils et obtenu beaucoup de collaboration simplement en prenant le téléphone, en appelant d’autres petits hôtels et en leur posant des questions comme « Comment vont les affaires ? “ “ Comment surmonter-vous ces problèmes ? “ Que pensez-vous de cette idée ?  » N’ayez pas peur de le faire parce que je crois vraiment qu’ensemble nous sommes plus forts, et cela peut conduire à d’autres opportunités par la suite.

Il est difficile de trouver de nouvelles façons de faire des affaires et de s’adapter aux nouvelles règles gouvernementales, car tout est en constante évolution. En ce moment, nous avons une Maison de chambres d’hôtes entièrement réservée malgré le fait que les restaurants soient fermés. Le restaurant est une importante raison de voyager. Nous avons installé dans chaque chambre  une table où les clients peuvent manger ; il s’agit en fait d’un service de chambre luxueux. Si vous me l’aviez demandé il y a un an, je n’aurais jamais pensé que nous pourrions vendre nos forfaits d’une nuit au même prix si les gens étaient obligés de manger dans leur chambre. L’idée m’aurait fait rire. Mais vous savez, ça marche. Nous nous adaptons et constatons que nos clients s’adaptent également à l’époque dans laquelle nous vivons. Il s’agit de sortir des sentiers battus, puis d’aller vendre son entreprise en toute confiance ! Mon avis ? Pensez de manière créative et agissez de manière créative. N’ayez pas peur de l’échec, car le seul échec est celui qui consiste à ne rien tenter !